Mais comment en est-on arrivé là ?

Ce matin, parcourant mon fil d’actualité, je tombe sur un article de la VRT(1) qui explique que le métier de professeur est officiellement inscrit comme métier en pénurie en Flandre.
C’est donc maintenant dans toute la Belgique qu’il manque des professeurs. Chaque année, les unes de presse sont alarmantes : « Un jeune enseignant sur cinq quitte la profession dès sa première année »(2) , « Lerarentekort is zo erg dat zelfs de leerlingen het niet meer leuk vinden: “Al anderhalve maand geen wiskunde gekregen” »(3) , « Pénurie d’enseignants : école cherche prof désespérément »(4) et j’en passe et des meilleures. Et qui sont les véritables victimes de cette histoire ? Nos jeunes.

Pour comprendre, je vais essayer de me rappeler de mes premières années dans l’enseignement.
Août 2018, je débarque dans une école néerlandophone technique et professionnelle. Ma première journée commence avec une journée pédagogique où toute l’équipe professorale se réunit pour commencer l’année scolaire et établir les nouvelles lignes directrices.
Le directeur me présente, je ne comprends pas la moitié de ce qu’il dit mais il me tient à cœur d’enseigner du côté flamand. D’abord par égo : j’ai étudié cette langue pendant presque 15 ans et je ne la pratique toujours pas aisément. Ensuite, par curiosité : l’enseignement flamand a souvent bonne presse. J’ai envie de voir de mes propres yeux si ce qu’on en dit est bien vrai.

Heureusement, j’ai été recrutée pour enseigner le français. Une langue qui me tient à cœur car même si je ne l’ai pas étudié en tant que telle, le langage tient une place très importante en sociologie. J’ai d’ailleurs toujours écrit adolescente, j’aime lire, les belles rimes, les répliques (ces fameuses punchlines) savamment écrites dans les morceaux de rap et cela ne me fait pas peur de l’enseigner.

Les premiers mois, je me sens seule. Très seule à l’école. Je n’arrive pas à échanger avec mes collègues. Il y a la barrière de la langue, c’est vrai. Puis une forme de timidité et d’illégitimité.
Heureusement, je n’ai pas débarqué dans cette école sans aide. Plus tôt en 2018, je suis recrutée par le programme de Teach for Belgium qui m’apporte une aide à laquelle je montrerai toujours de la gratitude : une tutrice. Une personne que je peux appeler quand je veux, qui vient me voir tous les mois en classe et qui m’apporte ce dont je manque cruellement : une forme de validation et une aide concrète.
Je trouve que les débuts comme prof sont emprunts d’une grande solitude : vous cherchez quel genre de prof vous êtes devant ces différentes classes qui aiment vous tester – surtout au début. En plus, vous jonglez avec les différents programmes et les spécificités de votre école.

Le lundi de ma première année, j’ai un horaire qui me hante encore aujourd’hui : 3h avec les 3e professionnelles, 2h avec les 2e  techniques et je commence avec les 2e sciences sociales et techniques. Les premières semaines, je rentre, je prépare pour le lendemain (je ne donnais que 3h), je ne mange pas et je dors tôt. Comment j’ai fait pour tenir le coup les jours où les larmes coulaient à flot, parce qu’il y en a eu quelques-uns ? Et bien, j’appelle ma tutrice. Elle m’écoute, avec attention, ne me juge pas et me fait me sentir moins seule. Les fois où elle vient me voir donner cours sont enrichissants : elle me donne des conseils pratico-pratiques pour m’améliorer mais surtout elle me démontre concrètement ce que je fais déjà très bien : je circule bien dans ma classe, j’observe rapidement ce qu’il s’y passe. J’arrive à combiner les moments stricts aux moments « plus cool ». Et cela me fait tenir jusqu’à la fin de l’année. La légitimité commence petit à petit à venir. En parallèle de cela, je suis une agrégation afin d’avoir une reconnaissance institutionnelle mais je n’y trouve pas entièrement ce que je recherche. Les deux formations sont plutôt complémentaires.

Septembre 2019, ma deuxième année. C’est déjà plus facile. Les collègues me connaissent un peu plus mais la collaboration n’est pas encore assez poussée selon moi. J’ai une autre tutrice avec laquelle j’explore d’autres manières d’enseigner. On construit ensemble un cours sur les émotions car je constate rapidement que dans mon école, les élèves n’ont pas appris à verbaliser leurs émotions et je constate même qu’on leur demande assez peu comment ils vont. Je continue d’être observée tous les mois et je me sens de plus en plus capable. J’ai peut-être vraiment trouvé un métier qui me plait et dans lequel j’évolue constamment.

Septembre 2022, je saute le pas. Après 4 années de pratique, je décide de vouloir guider d’autres jeunes profs à mon tour. Je deviens tutrice chez Teach for Belgium à mi-temps car je veux garder un pied sur le terrain et je commence à guider 8 jeunes profs quelques mois, empêchée de continuer par une grossesse compliquée qui finira heureusement très bien.

Pourquoi est-ce que je vous écris ça ? Parce que je ne suis pas si étonnée que le métier que j’exerce depuis tant d’années soit un métier en pénurie. Sans mes tutrices, sans leur soutien, je n’aurais sûrement pas continué bien longtemps. C’est un métier compliqué malgré ce qu’on en dit où il est plus que nécessaire de recevoir un soutien concret. Les mentorats mis en place dans certaines écoles sont souvent insuffisants car demandent plus de moyens humains.
Je suis persuadée qu’un meilleur soutien aux jeunes professeurs les feraient rester dans leur école.

Si vous hésitez à vous lancer par peur d’essayer seule(e), pensez au programme de Teach for Belgium et à son mentorat. On ne résoudra évidemment pas tout, tout de suite, mais c’est une réelle plus-value une fois sur le terrain. Et croyez-en mon expérience : tout ça en vaut vraiment la peine !

Alicia, alumna du programme Teach for Belgium et enseignante de français dans une école néerlandophone à Bruxelles.

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