Les cours de français “langue étrangère”, une sinécure pour un francophone?

Être francophone dans l’enseignement néerlandophone, c’est un couteau à double tranchant.

“Ah m’sieur, votre cours il sert à rien, moi, le français j’maîtrise, j’le parle déjà avec mes shabs !” Un mélange d’arabe et de français qui sonnait plein de fautes d’orthographe ! C’est avec ces mots qu’un élève est rentré en classe pour sa première heure de français. Un francophone parmi d’autres dans un cours de français langue étrangère (FLE). Quelques secondes plus tard, je remarque qu’ils représentent les trois quarts de ma classe.

J’ai pensé : Mais pourquoi diable impose-t-on à ces élèves un cours de français langue étrangère alors qu’ils sont locuteurs natifs ? J’ai alors voulu voir ce qu’ils avaient dans le ventre.

Je leur donne une production écrite sur un sujet qu’ils affectionnent : les réseaux sociaux. L’appréhension du professeur sévère fait son œuvre. L’heure passe et je reprends les copies. Le soir, je relis ce que mes francophones ont pondu. Plus incompréhensible que le langage SMS écrit par un dyslexique pour certains ! Ils écrivent comme ils parlent ! L’un d’entre eux introduit son sujet comme suit : “Les réseau socios, sait trop bien…”

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Premier constat. Il y a un travail de déconstruction énorme à entreprendre. Détruire leurs constructions de phrases vacillantes et reconstruire des fondations solides. Malgré la charge de boulot supplémentaire, je décide de m’y mettre. Dans cette même classe, je vais donner deux cours : un cours de français langue étrangère (FLE) et un cours de français pour francophones.

Trois semaines passent et j’échange avec la titulaire de ma classe pleine de francophonesElle me fait part de leurs difficultés avec le néerlandais. Il y a parfois des incompréhensions lors des instructions données en classe. Et, à l’écrit, c’est également compliqué…

Deuxième constat : le bilinguisme tel qu’imposé par le marché du travail du “Grand Bruxelles” nous revient en pleine figure. À force de vouloir préparer les enfants d’aujourd’hui à être les parfaits bilingues de demain, nous créons des machines de guerre des langues étrangères, mais uniquement à l’oral ! Écrire un mail en néerlandais sans fautes ? Difficile. Et en français ? Impossible ! Impossible est bien devenu français.

Après ces constats de début d’année, je me questionne sur l’objectif de l’enseignement. La réponse est immédiate : il doit préparer au marché de l’emploi. On exigera de ces élèves une maîtrise des deux langues. Une vitesse d’exécution inouïe dans un marché de l’emploi de plus en plus exigeant. Les classes dans lesquelles j’enseigne fonctionnent pourtant au ralenti car il y a deux cours au même moment. Cette lenteur n’est bonne pour personne : les néerlandophones qui souhaitent apprendre le français sont soit intimidés par tous ces francophones, soit ils ne reçoivent pas toute l’attention nécessaire. Les francophones, quant à eux, ont soit un cours inadapté à leurs besoins, soit un professeur attentif et présent pendant 5 à 10 % du cours.

Mais quelles solutions pour un cours répondant aux besoins de tous ? Proposer des classes de français par niveaux ? Cela ne passera pas. Premièrement, pour des questions de ressources humaines et budgétaires évidentes. Et, deuxièmement, parce que l’enseignement est communautaire. Un cours de français en Flandre tel que proposé au sud du pays ne verra jamais le jour !

C’est l’absurdité de l’enseignement communautaire. Surtout qu’il y a pénurie de professeurs de l’autre langue nationale de part et d’autre du pays. Pourtant, le marché de l’emploi est belge et les réalités économiques sont nationales et non communautaires. Je l’aime, mais je maudis mon pays. Encore une fois, pour son absurdité. Deux de nos langues nationales sont indispensables dans le monde du travail en Belgique. Pourquoi ne pas, dès lor,s reconsidérer l’enseignement tel qu’utile pour le marché de l’emploi ? Bilingue !

Laurent, Master en Gestion, désormais professeur de français dans la Communauté flamande.
Cet article a été publié le 3 décembre2018 dans le cadre d’un column pour le journal La Libre.

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