A 67 ans, pourquoi je suis heureux de continuer à enseigner à la rentrée prochaine!

 
Par Pierre Brynaert, professeur de Mathématique, membre de Teach For Belgium

Nous avons tous notre histoire, pourquoi aujourd’hui, à l’âge que nous avons, nous sommes devenus cette personne. Il est important de la connaître, car toute histoire a deux versions : celles des autres et la nôtre, et ce n’est pas souvent la même.

J’étais un cancre, un vrai, celui que l’on citait en (mauvais) exemple à l’école, dans la famille… la trop fameuse réflexion : « mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ? »

Il faut comprendre la logique du dernier de la classe : s’il fait un effort mais que les résultats ne suivent pas, il sera considéré comme incapable de faire des études. Donc autant contrôler le diagnostic, assurer le résultat et rester au fond du classement.

Pourtant un jour, et l’anecdote est véridique, inspiré par un sujet de composition, je me démenai et remis avec beaucoup de confiance ma copie. Lors de la remise de ces dernières corrigées par le professeur, j’attendais – pour la première fois – avec impatience le résultat. Bon, je n’espérais pas être cité en premier (la meilleure note) – quoique –, donc je ne m’inquiétais pas trop d’entendre cités en premier lieu les habituels étalons de la classe. Mais les cotes baissaient et mon nom n’était toujours pas cité… Finalement, le professeur, après avoir remis toutes les copies, dit : « Brynaert : Zéro ». « C’est excellent, donc cela ne peut venir de toi, tu as copié ton texte ». Cela me révolta, j’eus beau certifier que j’étais bien l’auteur, rien n’y fit, même mes parents acceptèrent la sanction : « Tu comprends, tu n’as jamais travaillé, alors comment te croire ? » Je ne leur ai jamais pardonné cet abandon. Ma révolte et ma colère furent telles que je dus changer d’école…

Les premiers mois y ressemblèrent à ma scolarité précédente… jusqu’au jour où une nouvelle fois lors d’une composition, je retrouvai l’inspiration et le goût de l’effort… Sans trop y croire pourtant (chat échaudé craint l’eau froide), je remis ma copie avec le sentiment d’avoir réussi l’exercice. Quelques jours plus tard, le professeur – Monsieur Samray (Collège Saint-Pierre, Uccle) – remit les copies… comme d’habitude en commençant par les meilleures. Les points baissaient et mon cauchemar recommençait ! Toutes les copies furent rendues sauf la mienne. Et le professeur de dire : « Enfin, dernière copie : Pierre Brynaert, 21/20 ! 20/20 parce que les consignes sont respectées (écriture, orthographe…) et un point en plus pour la créativité de la composition ». Et le professeur de consacrer l’heure de cours à lire ma copie, la commenter…

A l’heure suivante, nous avions cours de mathématique (Monsieur Stas), il donna son cours comme d’habitude mais me demanda de rester à la fin du cours pour me dire : « Il paraît que tu as fait 21/20 en composition française ? » « Alors tu dois faire la même chose en mathématique ! ». Et de me prendre tous les midis (sans rien demander à mes parents) pour revoir mes cours. En quelques semaines, je passai de dernier de classe à cinquième, puis troisième… pour finir l’année deuxième ! Performance reproduite les années suivantes !

C’est là qu’est née ma vocation d’enseignant et que je la renouvelle chaque jour pour payer ma dette auprès de ces professeurs qui surent me montrer leur confiance et me donner ma chance.

Un privilège, une responsabilité, une joie

Enseigner à des jeunes aux portes de la vie est un privilège, une responsabilité, une joie et je vis quotidiennement l’impact sur les résultats d’un étudiant qui se sait soutenu et en confiance avec son entourage pédagogique.

Au début de l’année, les élèves viennent au cours de mathématique avec la peur au ventre, la peur de l’échec, de la mauvaise réponse, de la réprimande, de la moquerie… Je leur explique que c’est une science et que c’est par l’erreur que l’on progresse, le bon résultat n’arrivant pas tout de suite ; que s’ils n’ont pas compris, c’est que j’ai mal expliqué (c’est devenu un élément de langage : « Monsieur, vous avez mal expliqué ! », au lieu de : « Je n’ai pas compris » !).

Enseigner c’est transmettre l’audace de l’apprentissage, et une année réussie pour l’enseignant que je suis, c’est de constater que cette confiance a grandi auprès de mes étudiants. C’est elle qui leur permettra d’aborder sans a priori quelle que matière que ce soit.

En septembre, j’écrirai à nouveau au tableau cette devise des lumières : « Sapere Aude » (« Ose le savoir ») et avant de parler d’équations, de fonctions du premier degré, de logarithme, je leur dirai que c’est cette audace qu’ils apprendront en mathématique.

Je ne sais pas si un jour je rembourserai l’intégralité de ma dette auprès de Monsieur Samray et de Monsieur Stas, mais je sais aussi qu’ils ne l’ont jamais attendu.

Vous avez aimé cet article? Partagez-le

A lire aussi...

Remédiation : la seconde sess dans le viseur

Après un an et demi de crise COVID, le retard scolaire s’est fortement accumulé. Afin de se mettre à niveau et préparer au mieux la prochaine rentrée, 400 jeunes issus de quartiers défavorisés ont décidé de suivre volontairement des cours de remédiation à nos Académies d’été.

Lire la suite »

L’invité dans l’actu

Caroline Laurent, participante de Teach for Belgium, et Caroline de Cartier, notre directrice, ont été reçues sur la Première. Elles ont parlé de l’Académie d’été et comment celle ci s’intègre dans notre stratégie. A vos écouteurs!

Lire la suite »

Le rôle si particulier du prof de sciences

Nancy Devaux et Nada Al-Kadi ont été invitées sur le plateau de WorldSkills Belgium afin de parler des femmes dans les sciences et du rôle que jouent les enseignants de sciences. Découvrez le reportage et l’expérience proposée par Nancy!

Lire la suite »

Abonnez-vous à notre newsletter

* champs obligatoires
FR
This site is registered on wpml.org as a development site.