Mes élèves étaient climato-ignorants

Ils n’étaient conscients ni de l’urgence climatique, ni des changements qu’ils ressentiront dans quelques années.

“Madame, à 10 heures, j’suis parti, hein ! Y aura plus personne en classe, faut pas donner cours. On va tous manifester !

– Ah oui, tu vas manifester pour quoi ?

– Bah, euh, Madame, sérieux… On va tous rentrer chez nous, quoi. Mais vous l’dites pas au directeur, hein !”

Voilà comment certains de mes élèves se sentent concernés par le réchauffement climatique, et les manifestations qui ont lieu chaque semaine. Lorsqu’à 10 heures, ce deuxième jeudi de manifestation, 60 élèves se sont présentés auprès du chef d’établissement pour “aller manifester”, celui-ci, flairant l’embrouille, leur a interdit de quitter l’école. En revanche, touché par leur engagement à la cause climatique, il a proposé d’organiser, le jeudi suivant, “une journée verte” à l’école avec, entre autres, un ramassage des déchets dans la rue. Voilà nos élèves étaient ravis… ou pas !

Après quelques coups de sonde en classe, il m’est apparu que même les quelques élèves capables de lier les mots “réchauffement climatique” à “pollution”, n’étaient conscients ni de l’urgence, ni des changements qu’ils ressentiront dans quelques années. Comme le résume une amie et collègue enseignante à Bruxelles, “I think it’s a privilege to be worried about climate. Lots of our students have a lot of other stuff to worry about”. En effet, en tant qu’adolescent, une photo postée sur Instagram, ou la petite amie qui n’a pas répondu au dernier SMS sont parfois plus ancrés dans leur vie de tous les jours que le climat. Et probablement encore plus lorsque l’on vient d’un milieu défavorisé, où trouver de quoi s’acheter un sandwich le lendemain midi, et s’offrir le prix d’une canette de Coca paraît plus important que l’empreinte écologique de celle-ci. Les nombreux articles qui dépeignent la situation précarisée de certains quartiers de Bruxelles l’expliquent suffisamment.

Pourtant, la semaine suivante, à l’aide de trois vidéos glanées sur Internet, mes cours se sont centrés sur des débats et de la recherche d’informations autour de ce thème. Les élèves, entre 15 et 20 ans, ont découvert que les catastrophes météorologiques ont triplé en 50 ans, que l’Australie a dépassé la barre des 50 °C, que le niveau de l’océan continuera à augmenter pendant des centaines d’années, etc. Armés de leur téléphone et de leur 4G, ils se sont renseignés : quelles villes vont disparaître d’ici 2050 ? Combien de réfugiés climatiques chercheront asile ? Que se passe-t-il pour la faune ? Et tout d’un coup, c’est la surprise, l’étonnement : “Moi, Madame, je ne ferai jamais d’enfants ! Vous avez vu ce monde de merde ? Je ne veux pas mourir là-dedans, hein !”, “Mais, Madame, pourquoi on est encore à l’école ? 2050, c’est dans 41 ans, on va jamais pouvoir travailler…”

Et nous voilà au cœur du problème soulevé par les manifestations des jeudis. Ils se révoltent, ils ne sont plus d’accord, ils trouvent que le “gouvernement mondial” (sous-entendez, n’importe quel chef d’État et/ou à la tête de l’Europe) doit faire quelque chose. Mais eux, élèves d’aujourd’hui, que peuvent-ils faire ? Les réponses sont unanimes : rien. Après tout, il faut pas mal d’argent pour mettre des panneaux solaires sur son toit ou pour acheter une voiture hybride. Pour inventer un nouveau moteur pour avion non polluant, il leur manque aussi quelques idées voire des formations…

Bref, moi, simple citoyen, je ne peux pas empêcher la déforestation ni la pollution faites par les entreprises. C’est donc un débat riche en idées qui s’installe. Parmi celles-ci, on découvre que l’on peut décider, soi-même, d’acheter de manière responsable : si Nutella déforeste trop, on achètera un pot sans huile de palme de temps en temps ; on prend une gourde à l’école, au lieu d’une nouvelle bouteille tous les jours ; on n’achète plus de biscuits emballés individuellement ; etc. C’est en leur apprenant qu’avec de petites actions, on fait de grandes choses qu’ils ressortent du cours avec plus d’espoirs et d’envie de changer les choses. Et pourquoi pas, consommer différemment, et même manifester jeudi prochain au lieu de rentrer chez eux.

Auriane, Master en Pédagogie, désormais professeur de français
dans la Communauté flamande.
Cet article a été publié le 18 février 2019 dans le cadre d’un column pour le journal La Libre.

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