La récompense est de voir ces jeunes s’épanouir

L’école de la dernière chance

Margaux (2)

Il y a cinq mois, jour pour jour, je faisais mes premiers pas dans mon nouveau lieu de travail, une école au centre de Bruxelles, surnommée « l’école de la dernière chance ». Nombreux sont les professeurs qui n’y ont fait qu’un bref séjour dû aux relations compliquées avec les élèves. Je dois admettre avoir vite remis en questions mon choix d’établissement scolaire : chaises qui volent en classe, insultes, bagarres, vols… Mais qui donc sont ces enfants ? C’est cette dernière question qui m’a permis d’évoluer, de comprendre, d’aimer et de vouloir donner toujours davantage.

Douria est une jeune fille aux allures de garçon manqué. Elle réagit au quart de tour lorsqu’on lui fait une remarque, tape si quelque chose ne lui plaît pas et insulte à qui ose lui faire un commentaire déplaisant. Comment vais-je l’apprivoiser ? Comment vais-je parvenir à lui faire suivre le cours ? Dès les premières leçons, elle me défie, teste mes limites, n’en fait qu’à sa tête et me pousse à bout. Dans son monde, le respect se gagne et j’avais donc tout intérêt à trouver comment mériter le sien.

Je découvre en parlant avec d’autres professeurs que Douria a une situation familiale difficile et qu’elle est la seule fille au milieu de garçons. Ma première approche était de l’observer et de l’écouter. Douria joue beaucoup au football et rêve de devenir footballeuse professionnelle. Pour ma part, mes connaissances en football se limitent à la coupe du monde tous les quatre ans et à un déguisement des diables rouges au fond de mon armoire, je ne pouvais donc pas jouer la carte de la passion partagée. Mais je n’abandonne pas et continue de scruter mon élève. Douria parle aussi de son quartier, de sa famille protectrice et a été plus que fascinée par le film Samba que j’ai montré en classe lors d’un chapitre sur l’immigration. Elle arrive la première en classe, s’assied directement face à l’écran et fait taire les élèves quand ils parlent pendant le film. Ça y est, j’ai trouvé ! Douria est une fille bien plus sensible qu’elle ne laisse apercevoir et est passionnée lorsqu’elle se sent concernée. Douria pose des milliards de questions, veut comprendre, souhaite faire des recherches, désire aider. Douria s’intéresse, enfin. Nous nous lançons dans des activités variées de recherches en groupes. Lorsque elle est captivée, toute la dynamique de la classe change et nous pouvons travailler sans relâche dans une ambiance de respect mutuel. Aujourd’hui, après seulement cinq mois, Douria n’est plus cette petite fille colérique et rebelle. Elle a évolué en une jeune femme respectueuse et a transformé sa colère en humour, et sa rébellion en motivation. Elle est en classe la fille qu’elle est sur un terrain de foot : solidaire et motivée.

Douria est un exemple parmi la centaine d’élèves à qui je donne cours quotidiennement. Chaque enfant arrive avec ses blessures, son histoire, sa vie quotidienne, ses valeurs. On entendra dire qu’ils sont indisciplinés, sans valeurs ou encore inéducables. Détrompons-nous, ils sont remplis d’expériences, de croyances mais surtout de questions. Ils ne demandent qu’à être écoutés, compris, acceptés et mis en valeur. Pour cela, nous devons toutefois prendre notre mal en patience et écouter, expliquer, répéter et répéter encore.

A la rentrée en janvier, j’étais angoissée à l’idée de retrouver mes élèves et de devoir tout recommencer depuis le début. Pourtant, ma surprise fut si grande en voyant mes élèves jeter leur chewing-gum en entrant en classe, ôter leur casquette de la tête dans le rang, me dire bonjour, s’il vous plaît et merci. Mes quatre mois d’observation, d’adaptation et de communication ont porté leurs fruits. La relation que j’ai créée avec ces adolescents vaut tous les moments difficiles par lesquels je suis passée. J’ai souvent dû sortir de ma zone de confort et me dépasser. Mais la récompense de voir ces quelques jeunes s’épanouir ou vouloir devenir quelqu’un est la plus belle carotte.

Margaux, Master en langues et littérature germanique, désormais professeur de français à Bruxelles

Cet article a été publié le 30 janvier 2017 dans le cadre d’un column pour La Libre.

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