Quelques leçons apprises pour un enseignement hybride réussi

Enseignement Hybride

Cette chronique de Caroline de Cartier, directrice de l’asbl Teach for Belgium a été publiée dans La Libre le lundi 11 janvier 2021.

Cet été 2020, mon fil d’actualité Facebook a fait apparaitre cette photo à plusieurs reprises. Elle me laissa perplexe.

Six mois plus tard, une leçon principale s’impose : rien ne remplacera la richesse des interactions, et la qualité de l’enseignement réalisé en présentiel au sein de chaque classe. Assurer la présence physique de tous les élèves à l’école dès que la fin de la pandémie le permettra sera dès lors essentiel, notamment pour éviter de creuser d’avantage les inégalités scolaires et les écarts entre élèves.

Une récente étude de l’UMons révèle que plus de la moitié des enseignants ont abandonnés l’utilisation des outils numériques lorsqu’ils n’ont plus été contraints de les utiliser au début de l’année scolaire en cours. Pour autant, ne peut-on pas profiter de cette crise pour intégrer l’ordinateur de manière durable au sein de l’école comme un outil complémentaire efficace au service de l’apprentissage ? Ou faut-il rejeter purement et simplement l’usage du numérique et les méthodes d’enseignement hybride en dehors des situations de force majeure ?

La crise sanitaire nous a obligé à expérimenter de nouvelles manières d’enseigner. En ce début d’année 2021, prenons du recul sur les leçons apprises lors de cette période particulière. De mars à juin, tout le monde avait un peu fait à sa sauce. Cet automne, les élèves et les enseignants du secondaire supérieur ont dû évoluer dans l’enseignement hybride.  Dans ce contexte, chaque école a dû s’adapter en fonction de sa propre réalité. Cela a permis de réaliser un grand nombre d’expérimentations différentes dont il est intéressant de tirer les leçons.

Personnellement, une expérience spécifique a permis d’éclairer ma réflexion. En août dernier, dans le cadre des écoles d’été de l’ASBL Teach For Belgium, 300 adolescents de quartiers défavorisés de Bruxelles et d’Anvers se sont connectés chaque jour pour suivre volontairement des cours en ligne. A l’aide de leur ordinateur (ou d’un qui leur a été prêté) et accompagnés par un enseignant débutant, mais formé à l’enseignement hybride, ils ont approfondi leurs connaissances. J’ai été impressionnée par la concentration dont ces élèves ont fait preuve. Malgré les vacances, le soleil et la canicule, ils étaient là ! Connectés, attentifs… et actifs !

Certes, tous n’osaient pas allumer leur caméra et/ou leur micro, mais tous jouaient le jeu… ou plutôt les jeux sérieux proposés par leurs enseignants : enregistrements audio ou vidéo pour les cours de langues, tests interactifs via Wooclap, exercices sur la Khan Academy etc… lorsque le cours est bien construit et qu’un local de travail adapté, du matériel informatique et une connexion de qualité sont disponibles, l’élève n’a pas le temps de s’ennuyer!

J’en retiens une conclusion principale : Oui, créer du lien à travers un écran est plus difficile mais possible. Même avec des élèves qu’on n’a jamais rencontrés au préalable !

Cette expérimentation estivale – et celles à beaucoup plus grande échelle cet automne à travers nos 180 enseignants et leurs 15 000 élèves (issus pour la plupart des quartiers défavorisés) – m’ont permis de réaliser que l’usage de l’ordinateur peut s’avérer très pertinent. Il contribue à une amélioration des apprentissages et peut également être apprécié par les enseignants quand il permet de développer l’autonomie, de différencier en fonction des besoins de chacun et d’activer tous les élèves en même temps.

Toutefois, cela ne peut se faire sans un cadre et des pratiques coordonnées mises en place au sein de chaque école. En étant à l’écoute des enseignants et de leurs directions, nous avons identifié au moins sept leçons importantes et interdépendantes pour que l’enseignement hybride soit une réussite : 

  1. Une vision partagée par les différents membres de l’équipe éducative, animée par une direction gardant le cap malgré les tempêtes traversées
  2. Du matériel et une connexion informatique de qualité disponible pour chaque élève, à l’école comme à la maison (ou dans un espace mis à disposition en cas de logement trop exigu)
  3. Une plateforme numérique unique pour l’école et une harmonisation des outils au sein de l’école afin que les élèves sachent où trouver l’info et que les contraintes logistiques soient simplifiées le plus possible
  4. Des enseignants formés et accompagnés sur le terrain dans l’utilisation du numérique (selon notre expérience, convertir des activités ‘classiques’ en activités pertinentes ‘en ligne’ nécessite 3 à 4 fois plus de temps de préparation qu’un cours classique)
  5. Une coordination entre enseignants d’une même classe afin d’assurer un équilibre dans les différentes tâches demandées aux élèves (et éviter par exemple 6h de suite derrière un écran)
  6. Un contact en présentiel le plus régulier possible entre enseignants et élèves afin de pouvoir alterner moments d’interactions et moments de travail en autonomie
  7. Une organisation différente du titulariat en attribuant à chaque enseignant un groupe de 10 élèves dont il est le référent. Ainsi cet enseignant peut prendre le temps d’échanger avec chacun de ces élèves et assurer, en plus de l’accompagnement habituel, le suivi concernant ses besoins individuels pour l’enseignement hybride

En conclusion, comme le psychopédagogue Bruno Humbeeck de l’UMons, nous pensons qu’il faut aller au-delà du clivage pour ou contre.  L’usage du numérique peut permettre aux élèves de développer davantage leurs apprentissages et son usage est à encourager. Cependant, pour qu’elle se traduise par un résultat positif, l’intégration du numérique doit se faire dans un contexte approprié, en appliquant des pratiques coordonnées, pour enrichir et compléter l’enseignement présentiel… Un accompagnement des équipes éducatives dans cette transformation est en outre essentiel.

Ce défi est loin d’être facile à relever, mais si la combinaison d’un enseignement présentiel et d’activités en ligne (en classe ou à la maison) permet d’accroitre l’apprentissage de chaque élève, cela n’en vaut-il pas la chandelle ? Un ordinateur ne deviendra jamais une école… mais il pourrait en devenir un outil important pour relever les défis de la prochaine décennie !

Pour aller plus loin: http://teachforbelgium.org/fr/accueil-2/

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