Enseigner est devenu une évidence

“Tu n’as pas peur de t’abêtir ?” m’a un jour demandé quelqu’un. Ma réponse est clairement non !

Après une année passée en tant que professeur de mathématiques dans le premier degré différencié d’une école à indice socio-économique faible, enseigner est devenu une évidence pour moi. Et pourtant…

marine

Pendant mes études, je rêvais de rejoindre une de ces grandes multinationales, machines aussi puissantes que certains Etats. Dans les représentations de l’ambitieuse étudiante en gestion que j’étais, il s’agissait en effet de la voie évidente pour un certain accomplissement intellectuel. Au fur et à mesure de l’avancement de mon master et de mon exposition à “ce monde”, j’ai réalisé qu’une telle carrière ne pourrait pas m’épanouir. J’ai donc décidé d’échanger le bel “open space” contre des bâtiments vétustes, le smartphone dernier cri contre l’équerre et le compas, la robe contre le pantalon plein de craie, les analyses de la concurrence contre les étapes de la division écrite, et un prestigieux statut dans la société contre l’image du “professeur tout le temps en congé”. J’ai gardé un élément, malgré tout : l’environnement de travail multiculturel.

Le 5 septembre, j’entamais donc ce qui allait ressembler à un vrai parcours du combattant. Ma mission : préparer des jeunes, âgés de 11 à 16 ans, au CEB (le certificat délivré à l’issue de l’enseignement primaire). En pratique, ma priorité est rapidement devenue de les faire venir à l’école tous les jours, de leur (re) donner le goût d’apprendre (parce que les mathématiques, ça peut aussi être fun, je vous assure), de leur donner confiance en eux et de les faire évoluer en tenant compte de leur niveau.

A plusieurs reprises au cours de ce parcours du combattant, je me suis dit que mes investissements étaient peine perdue… Au final pourtant, malgré les obstacles, je ne regrette pas du tout mon choix. Certes, je suis encore à des années-lumière d’un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée, mais j’aime mon travail et je n’aurais pas appris davantage ailleurs en un an !

Tout d’abord, j’ai appris des insultes en turc, en arabe et même en roumain. Ensuite, plus sérieusement, j’ai appris à ne pas baisser les bras. J’ai appris à faire preuve de créativité pour motiver des élèves dégoûtés de l’école. J’ai appris à écouter et à observer. J’ai appris à lâcher prise, à relativiser et à échouer. J’ai aussi appris à apprécier les petites victoires.

“Madame, j’ai étudié 2 heures hier soir !”, “C’est déjà la récré ?”, “Wallah j’avais jamais compris ça !” Un élève qui retient que 6 x 8 font 48, qui recommence à venir à l’école tous les jours, qui demande à un autre de lui prêter sa gomme autrement que “Ta gomme, fils de p… !”, sont autant de petits bonheurs au quotidien. J’ai découvert un nouveau monde et j’ai réalisé qu’il est très (trop) facile de vivre dans une bulle.

Mes élèves vivent presque constamment dans la violence, que ce soit verbale ou physique. Le banc qui a volé dans ma classe lorsque deux élèves se sont battus, je crois que je m’en souviendrai toute ma vie. L’indifférence des autres élèves qui y sont tellement habitués, encore plus… Si certains jeunes ne viennent pas à l’école, c’est qu’ils doivent jouer interprète à l’hôpital ou chez Actiris. Il y en a qui subissent un stress financier à 11 ans. Et d’autres qui ne savent pas quoi répondre quand on leur demande leurs hobbys. Certains élèves font le ménage après l’école plutôt que de faire leurs devoirs. Mais ce sont surtout des élèves tellement sincères, généreux, curieux et drôles, qui ont besoin d’énormément d’attention et d’amour, et qui pourraient aller si loin s’ils avaient un environnement adapté.

“Tu n’as pas peur de t’abêtir ?”, m’a-t-on dit un jour. En un an, je peux dire que j’ai développé des compétences de chercheuse en pédagogie, de psychologue, de logopède, d’assistante sociale, d’éducatrice, de mère… et d’enseignante. Ma réponse est donc non. Après une année scolaire, je peux dire que je suis épuisée mais aussi profondément grandie. Comme un professeur me l’a dit récemment : “Le salaire, il est dans les yeux des enfants.”

Marine, Master en gestion, désormais professeur de mathématiques à Bruxelles

Cet article a été publié le 28 mai 2018 dans le cadre d’un column pour le journal la Libre.

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